Amadys possédait un fort joli appartement à Londres. Un truc de vieux célibataire, selon sa propriétaire qui avait tendance à se mêler de ce qui ne lui regardait pas, et à qui il avait fini par faire peur avec ses lubies. Il payait son loyer et n'emmerdait pas son monde, il était donc relativement tranquille.
Pourtant, qu'il était bizarre ce grand type aux cheveux longs... On ne lui connaissait ni amis, ni copine, ni... rien. Jamais personne n'entrait là-dedans.

Et pour cause... la décoration en aurait interpellé plus d'un. Curieux mélange entre médiéval et modernité, la collection de lames faisait un curieux effet à côté d'une guitare électrique ou d'une photo datée de 1975 dédicacée par Bon Scott.
Il s'était salement fait réprimander pour cette petite escapade d'ailleurs. En plus, il s'était complètement loupé, son plan initial étant d'empêcher la mort du leader d'AC/DC. Mais comme son manipulateur de vortex avait eu des ratés, on ne l'avait pas foutu à la porte.
La leçon avait porté. Il laissait les éventuels changements de l'histoire aux Time Lords.

Assis à son bureau, meuble moderne envahi par des livres de toutes provenances, il écrivait patiemment à la plume dans un épais cahier à la couverture de cuir noir. Deux autres cahiers semblables étaient soigneusement rangés dans un tiroir dudit bureau.
Quiconque mettait la main dessus croirait à une étrange histoire de science-fiction.

Il cessa bientôt d'écrire, et laissa l'encre sécher avant de s'emparer du premier cahier qu'il ouvrit avec précaution.
A la première page, en lettres alambiquées, s'étalait le titre Mémoires d'un chevalier errant.


Je me nomme Galaad Amadys Bohor Bedwyr Lancelot Yvain, comte d'Arnith et de Camlaan. Mes prénoms sont authentiques, mais le reste a été falsifié, afin que personne ne puisse tenter d'établir la vérité.

Il passa plusieurs pages, qui narraient son enfance, ou du moins les souvenirs qu'il en conservait, la mort de sa mère à l'aube de ses quatorze ans, son père qui tentait de faire de lui un guerrier alors qu'il ne rêvait que de littérature...
La déchéance de sa famille et le retour forcé en Normandie.

A 21 ans, je me suis enfui. Je désirais accomplir ma propre geste, pas reprendre le domaine familial. Mon père m'a adoubé chevalier à contrecœur, parce qu'il savait ce que j'avais en tête. Je comptais revenir une fois lassé d'aventures... Mais ce ne fut pas le cas.

Il passa d'autres pages, lisant quelques passages. Des aventures qui n'avaient finalement que peu de chose à voir avec ce qu'il avait lu dans les livres.

Et l'Aventure est finalement arrivée. Je suis arrivé dans un village où régnait la terreur. Des gens disparaissaient dans la forêt toute proche. J'y suis allé.
Et... Diablerie.

Il esquissa un sourire à la tirade qui suivait. Heureusement, il ne pensait plus ainsi... Moins de deux années avaient suffi à lui faire perdre pratiquement toutes ses convictions. Enfin, il n'avait jamais trop aimé les affaires de religion, comme son père.

L'an de grâce 2030. J'ai refusé d'y croire.

Il résista difficilement à l'envie de se marrer au souvenir de son intrusion dans le monde moderne. Il avait débarqué à cheval, en armure, et s'était retrouvé au milieu d'une route. Sa monture s'était empressée de le désarçonner pour fuir, et il s'était retrouvé seul, l'épée à la main, complètement terrifié. Les types qu'il avait essayé de trucider, alors que certains cherchaient à l'aider...
On l'avait pris pour un dingue.
Avec le recul, c'était complètement ridicule.

La suite avait été confuse, et il était toujours bien en peine de pouvoir raconter ce qui s'était passé.

Je crois que j'ai du échouer dans une ruelle. J'essayais de me cacher. Je ne savais pas où j'étais, en Enfer ou ailleurs... Cette cité sentait fort, et il y avait des monstres de métal partout. Les gens aussi étaient étranges.
Le soir tombait, j'avais faim, j'avais froid, je voulais simplement trouver un endroit où dormir.
C'est à ce moment que...

Il y avait un espace blanc de presque un demi-feuillet. Il cherchait toujours à compléter son histoire, visiblement.

Je me suis réveillé dans... je ne sais pas, ce n'était pas un château, ni aucune autre chose que je connaissais.
Bienvenue à l'Agence du Temps, chevalier.

Je ne devais jamais oublier ce moment. On me parla de faille temporelle, qui avait déjà été refermée, et du fait que j'étais coincé ici. Une aberration.
Je ne comprenais rien. J'ai essayé de m'enfuir. On m'a rattrapé une fois, deux fois.
Puis il est arrivé. Un homme qui a réussi à trouver les bons mots, à m'expliquer les choses d'une manière que je comprenais.

Le sourire du chevalier prit un pli douloureux. Les premiers temps à l'Agence avaient été plus que difficiles.

Il me trouva de nouveaux livres de chevalerie. J'ai lu des ouvrages qui seraient publiés deux cent ans dans le futur ! Mais ici mon futur était le passé. Le Temps. Tout était lié au temps.

J'ai cherché la réponse dans d'autres livres. J'ai lu Saint-Augustin et sa théorie du temps, puis d'autres ouvrages, de plus en plus scientifiques et modernes au fur et à mesure qu'ils reprirent mon éducation.
Cela prit plus de deux ans. Diantre, si je n'avais pas eu l'esprit vif, et une curiosité insatiable pour ce monde une fois que j'eus accepté ma situation, je me serais passé une lame dans la poitrine.

Il se leva, alla fouiner dans le frigo et en sortit une canette de bière fraîche à laquelle il but avant de poursuivre sa lecture.
Il y avait encore une pléthore de détails sur sa vie en 2030... jusqu'à ce fameux jour. Son premier voyage.

On avait fini par m'introduire aux véritables buts de l'Agence du Temps. Il apparaissait que je ne conviendrais pas pour les Teselecta, alors on me forma pour des missions plus spécifiques. Missions qui impliquaient des voyages dans le temps, à l'aide d'un manipulateur de vortex.

Il esquissa un sourire mauvais. Décidément, il devrait détruire ces foutus carnets. Il avait crypté les informations sensibles lui-même, selon une méthode qu'on lui avait enseigné...
Sa formation lui avait pris presque cinq ans, en vérité. Il avait eu une somme monstrueuse de connaissances à avaler,  et il savait que s'il n'avait pas satisfait, on se serait débarrassé de lui. Sans doute en le remettant à son époque, où il aurait été pris pour un fou s'il racontait quoi que ce soit.
Heureusement, il savait se battre, et son entraînement à ce niveau compensait un peu. Il avait continué d'apprendre, pour maîtriser d'autres techniques.
Somme toute, il ne sortit pratiquement pas pendant ces années. Il avait peur de le faire, puis plus tard, il n'en trouva guère le temps.

Mon premier voyage temporel. Je connaissais la théorie sur le bout des doigts. Je savais comment manipuler la drôle de chose qu'on me donnerait si l'essai était concluant.
C'était l'unique condition. Je partis ainsi avec un autre agent pour récupérer des informations sur un homme vivant au 41e siècle. Il y avait des traces de complots contre la Fédération Galactique encore toute jeune, et ce type manipulait dans l'ombre un groupe d'extrémistes.
Nous devions le localiser, un Teselecta ferait le reste.

Ah, ce voyage... Il se rappelait, oui... c'était là qu'il avait entendu parler pour la première fois des Time Lords.
Depuis, il n'espérait plus qu'une chose, en rencontrer un.

Il passa au second cahier.

Nous nous sommes retrouvés mêlés au groupe de terroristes. J'inaugurais ainsi mon premier vol spatial.
Mais nous avons été rapidement découverts, et presque assassinés. Diantre, je me rappelle encore la sensation de l'arme laser dans ma main, quand j'ai tiré sur ces gens ! J'avais l'impression d'être dans Star Wars !
La mission ne s'était certes pas passée comme prévu, mais nous avons pu recueillir assez d'informations de la part d'un des survivants pour que le Teselecta fasse son office.
Nous sommes rentrés, et j'ai reçu mon propre manipulateur de vortex.

Il savait exactement quel nombre de pages passer pour éviter de se retrouver confronté aux bêtises qu'il avait faites.
La première, tenter de retourner dans son époque. On l'avait bloqué au moment où il entrait les coordonnées, qu'il avait calculées lui-même, et qui étaient complètement erronées. Il avait failli se retrouver coincé en Egypte antique.
La seconde, c'était l'affaire Bon Scott.



Voilà pourquoi je suis ici, sur Terre, à Londres et à cette époque.